IL ROSSO SEGNO DELLA FOLIA
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LA CRITIQUE
« Par instant, ce nouveau Bava lorgnait plutôt du côté
de Sei donne per l'assassino : l'étrange atelier de couture,
le fantasme des mannequins, ici en légion, tous revêtus
d'une robe de mariée, mais le rapport s'arrête là.
Il rosso segno della follia est une uvre intimiste et l'assassin
a un comportement fétichiste, presque feutré, celui d'une
sorte d'émule de Norman Bates qui se serait fait le spécialiste
de victimes frappées lors de leur nuit de noces, l'humour noir
n'étant pas absent : le raccord entre la cheminée vomissant
la fumée d'une victime incinérée et celle d'un
toast un peu trop grillé ! »
In : Mario Bava / Norbert Moutier. Paris : Éd. Norbert
Moutier, [1990 ?]. - Collection Monster bis (p. 49-50).
« Encore un Bava particulièrement brillant. Encore un
film en trompe-l'il. [...] Désigné comme un giallo de
par l'utilisation de l'arme blanche, le film s'oriente davantage vers
l'étude de la schizophrénie, des états d'âme
d'un serial killer tourmenté. Le comédien Stephen Forsyth
(peu connu, si ce n'est à travers quelques westerns spaghetti
italo-espagnols anodins) possède un véritable regard d'halluciné
qui fait parfois penser à celui de notre Michel Lemoine national.
Les autres comédiens sont aussi très bien choisis : Femi
Benussi et Dagmar Lassander sont fort belles et Alan Collins toujours
aussi inquiétant. Une évidence aussi, dans ce film, tous
les comédiens sont fort bien dirigés. »
In : Mario Bava / Norbert Moutier. Paris : Éd. Norbert
Moutier, [1990 ?]. - Collection Monster bis (p. 122-123).
« Il rosso segno della follia ('La marque rouge de la
folie') ne constitue pas lui non plus une étape importante dans
la carrière de Mario Bava. [...] 'La marque rouge de la folie'
n'est qu'une compilation des thèmes de l'uvre de Bava et la
psychanalyse vue par ce dernier est bien loin de faire l'unanimité.
On se consolera avec une très jolie musique due à Sante
Romitelli et une superbe séquence où notre psychopathe
danse avec l'une de ses conquêtes féminines au milieu des
mannequins de son atelier. »
In : Fantastyka : la mémoire du cinéma fantastique
/ éd. Alain Schlockoff. - Paris : Éd. Hermel, 1994. -
Ndeg; 6 Décembre 1994 (p. 27)
« Il rosso segno della follia illustre la capacité
de Mario Bava à s'emparer d'une situation classique et d'en tirer,
en faisant mine de ne jouer que sur d'éventuelles ornementations
à partir de celle-ci, toutes les significations possibles. »
In : Mario Bava / coord. Par Jean-Louis Leutrat. - Liège
: Éd. Du Céfal, 1994. - Collection Grand écran,
petit écran (p. 115).
« One of Mario Bava's best directorial jobs is to be savoured
in this spanish-Italian coproduction. [...] It is disconcerting to see
someone mild-mannered turn into a fiend. [...] Bava demonstrates an
understanding of how color adds effect to horror themes. A major contribution
to European horror cinema. »
In : Creature features : the science fiction, fantasy, and horror
movie guide / John Stanley. - New York : Berkley Boulevard Books,
2000 (p. 232).
« Despite the fashion house setting Bava's Hatchet is
nowhere near as delirious as his Blood and black lace. The mystery
element of the film is negligible ; it's stunningly obvious who killed
the madman's mother [...] Nevertheless, the film pays dividends in terms
of lighting and camerawork and scenes of Forsyth, clad in a wedding
dress stalking his victims amidst mannequins are undeniably effective.
[...] Sante Romitelli's schizoid score, which combines frenzied fear
themes with gentle harpsichord melodies and lush orchestrations, adds
intensity to the proceedings. »
In : Blood and black lace : the definitive guide to italian sex and
horror movies / by Adrian Luther Smith ; introd. by top giallo scriptwriter
Ernesto Gastaldi. - Liskeard : Stray Cat Publishing, cop. 1999 (p. 56).
« Darkly comic and consistently evocative of Poe, Hatchet
for a honeymoon is full of delicious ironies, such as the scene
in which John ascribes Mildred's overheard death cries to a horror movie
on TV, which turns out to be ... Black Sabbath ! An interesting
footnote : all of Hatchet's salon-based scenes were shot on location
at the palatial villa of Generalissimo Francisco Franco. 'The city guard
asked us not to stain the staircase with blood, Bava lamented, explaining
the film's unusually tame violence »
In : The Darkside : the magazine of the macabre and fantastic
/ ed. by Allan Bryce. - Plymouth : Stray Cat Publishing, 1992. - Nr.
23, August 1992 (p. 23).
« The movie provides a richly revealing account of a classic
'lover boy's' maternal hangups, and as such could be read as a critique
of the filmic presentation of romantic male stars in melodramas, and
of all those who identify with them. Unfortunately, except for the occasional
stunningly beautiful fetishistic image, the movie's mechanical narrative,
crude voice-over technique and abuse of the zoom lens dilute and damage
its attempt to establish an equation between narrative as fantasy and
cinema itself as a fantasy process. »
In : Horror : the Aurum film encyclopedia / ed. Phil Hardy ;
with contributions by Tom Milne, Kim Newman, Paul Willemen... [et al.].
- London : Aurum Press, 1993 (p. 205).
NOTRE AVIS
Le lieu de narration est Paris, la capitale de la mode et ... de l'amour.
Mais ce n'est qu'un trompe-l'il et Mario Bava transforme le tout en
une ironie macabre, nous livrant une uvre noire et perverse, mais néanmoins
empreinte d'une poésie baignée dans les couleurs des ténèbres.
Dès le générique, nous plongeons dans l'univers
trouble de John Harrington. Une succession de plans sur fond rouge nous
montre les visages des protagonistes, et notamment celui de John Harrington
(adulte et enfant) qui se décompose, se décale, le tout
accompagné par une musique aux accords très doux. Le ton
du film est donné dès le début.
Le premier plan nous montre un homme dans un train. La musique change.
A la douceur du générique suivent des accords plus violents,
criards et stridents. Nous remarquons la ceinture de l'inconnu : une
sorte de chaîne. La caméra suit les mains de l'homme qui
ouvrent le compartiment d'un couple fraîchement mariés.
Ce sont des mains très soignées. D'ailleurs tout au long
du film, la caméra s'attardera à plusieurs reprises sur
les mains de l'assassin, comme pour souligner le paradoxe entre la violence
des meurtres et son auteur issu d'un milieu aisé (qui prend grand
soin de ses roses). Ce premier meurtre, un couple en voyage de noce,
a lieu alors même qu'ils font l'amour. Le meurtre tient lieu ici
d'orgasme. Nous retrouverons cette même scène dans un autre
film de Bava, La Baie sanglante avec néanmoins plus de violence.
Le coupable ne fait aucun doute, puisque dès les plans suivants,
John Harrington avoue dans un monologue intérieur sa folie meurtrière.
Il est conscient de ses actes, mais irresponsable, car hanté
par un souvenir d'enfance qui le pousse au crime. L'homme est enchaîné
à son passé - à l'image peut-être de sa ceinture
- et plongé dans un cercle vicieux. Découvrir l'identité
de l'assassin de sa mère en commettant lui-même une série
de crimes ! Voilà une logique des plus sanglantes. D'ailleurs
nous apprenons par la suite que d'autres meurtres ont déjà
été commis. A ce sujet, retenons pour anecdote la faute
grossière dans le journal en français que lit John Harrington
au lendemain du crime. Le titre de l'article s'intitule : « L'horrible
délit du le wagon-lit ».
L'assassin est un
styliste de mode spécialisé dans les robes de mariées.
Une maison de couture dont le jeune John a hérité après
le décès de sa mère. Il s'agit d'un homme soigné,
nous parlions de ses mains, toute son allure est d'une grande élégance.
Il plaît aux femmes, il les intrigue même, il suffit de
voir les regards que portent sur lui Fémi Benussi ou Dagmar Lassander.
Mais sous cette façade comparable à un mannequin - les
traits de visage de John Harrington sont lisses et dures - se cache
un homme tourmenté par le passé. Le martèlement
sourd de cet autre qui monte les escaliers et qui assassinera sa mère
adorée en train de s'amuser avec un de ses amants. Les liens
maternelles étaient forts, cela ne fait aucun doute, et l'épouse
de John ne manque pas de le persécuter à ce sujet. De
même, se moque-t-elle de ses problèmes sexuels.
John Harrington est un être persécuté, en quête
de paix intérieure. On pense aux paroles d'un autre personnage
également torturé par son passé, à savoir
Mark Lewis interprété par Carl Boehm dans Le Voyeur
de Michael Powell. Lui aussi rêve de cette paix intérieure.
Les deux personnages vivent dans leur monde propre. Mark Lewis dans
celui de sa chambre noire où il projette les films de ses crimes,
John Harrington dans sa pièce secrète habitée par
des mannequins qui portent ses plus beaux costumes de mariées.
Tous les deux sont des êtres que la folie a rendu inapte à
vivre au sein d'une société qui ne représente plus
rien pour eux. Parmi les belles scènes du film figure celle où
John enlace un mannequin pour l'embrasser sur sa bouche. Malgré
tout, c'est un homme capable d'amour et de sentiments. A la fin du film,
il supplie son modèle Helen de ne pas rester auprès de
lui. Il ne souhaite pas la tuer dans un accès de folie.
D'ailleurs, le véritable monstre du film n'est pas John Harrington. A bien
y penser, ce serait plutôt son épouse qui le harcèle avec
des pics verbales dès le matin lors du déjeuner. Rien d'étonnant
qu'il l'assassine. Mais comme tous les démons, elle revient d'entre les
morts pour le torturer et lui rappeler qu'elle sera toujours à ses côtés
quoiqu'il fasse. Ses efforts pour se débarrasser de son cadavre restent
vains. Dans un premier temps, John l'enterre dans la serre, puis il le brûle
dans son incinérateur. Il ne reste que des cendres qu'il porte dans un
sac. Malgré tout, son spectre réapparaît. Il va donc noyer
le sac dans une rivière. Mais en rentrant chez lui, le sac est à
nouveau là. Finalement, il éparpille les cendres dans une fontaine.
Mais rien n'y fait. Son épouse continue à le hanter, toute de noir
vêtue comme un oiseau de malheur en parfaite opposition à la robe
blanche d'une mariée. Mais au contraire d'un Mark Lewis qui trouvera son
salut dans le suicide, John Harrington n'échappera pas à son démon,
en l'occurrence son épouse. Dans la dernière scène du film,
lorsqu'on conduit John vers le fourgon de police, un officier lui apporte le sac
maudit contenant les cendres. La voix de son épouse retentit une nouvelle
fois et lui promet de ne jamais le quitter, ni de son vivant, ni dans la mort.
Il rosso segno della folia est à nos yeux un véritable
bijou visuel. Mario Bava prouve une fois de plus qu'il sait créer
des atmosphères comme nul autre réalisateur. Ce peintre
de la pellicule nous offre des scènes à la fois poétiques
et dramatiques. Poétique comme cette valse avec Femi Benussi
en robe de mariée au milieu des mannequins, dramatique comme
le meurtre de sa femme Mildred qui lui donne bien du fil à retordre.
Normal dans une maison de couture ! Elle est celle qui se débat
le plus et qui est sur le point de lui échapper, mais en bon
couturier il finit par l'achever. Du moins, le croit-il !
C'est d'ailleurs l'occasion pour Bava de faire un clin d'il aux spectateurs.
Juste après ce meurtre, la police sonne à la porte de John Harrington.
L'inspecteur a entendu des cris. John qui regardait la télévision
auparavant, rallume le poste et miracle, voilà une femme qui crie à
point nommé. Mais ce n'est pas n'importe quel film, puisqu'il s'agit des
Trois visages de la peur justement de Monsieur Bava lui-même. On
n'est jamais si bien servi que par soi-même ! Mais le clin d'il
continue avec ses gouttes de sang (rappelant d'autres gouttes... d'eau) qui tombent
sur le tapis alors que John est questionné par l'inspecteur. C'est le sang
de Mildred que John a dû abandonner en haut des escaliers. Mais l'inspecteur
ne remarquera rien, même si par son attitude de revenir à la charge,
il rappelle un peu un certain Columbo, la perspicacité en moins !
Ce film offre aussi à Bava de retrouver un milieu qu'il affectionne
tout particulièrement, celui des maisons de couture et des mannequins
à la fois vivants et inertes. Les gros plans sur les visages
des mannequins de cire nous donnent par moment l'impression qu'ils sont
vivants et qu'ils nous regardent. Nous pensons parfois à cet
autre mannequin que trimballe un certain Telly Savalas dans Lisa
et le Diable et qui lui aussi oscille entre la vie et la mort.
Curieuse aussi cette constante dans plusieurs films italiens de cette époque,
d'utiliser des plans dans des serres. John Harrington est un homme qui aime les
fleurs dont il prend grand soin. Il fera preuve du même soin avec Alice,
la sublime Femi Benussi, qu'il vient d'assassiner et qu'il porte dans ses bras
comme un jeune fiancé porterait son épouse . Mais au lieu de franchir
le seuil de leur chambre de noce, il propose de consumer la chère (ou chair)
dépouille en l'offrant aux flammes de son incinérateur. La scène
où il transporte le corps inerte d'Alice à travers la serre est
très belle, car la caméra caresse en même temps des feuilles
mortes. Passage de la vie à la mort.
D'autres films auront recours au cadre d'une serre. Barbara Steele y retrouvera
son amant (Peter Baldwin) dans Le spectre du Docteur Hichcock. Elle en
fera de même avec Rik Battaglia dans Les amants d'outre-tombe avant
qu'ils ne soient surpris par un mari jaloux et particulièrement inspiré
(Paul Muller). Rosalba Neri quant à elle donnera libre cours à sa
nymphomanie (quel jolie substantif !) avec un jardinier dans Les insatisfaites
poupées érotiques (il s'agit d'une des nombreuses variantes
de titre pour ce film délirant). Nous avons également droit à
notre serre dans Le monstre au masque avec le talentueux Alberto Lupo et
la blonde Suzanne Loret. Comme quoi les serres ont inspiré nos amis transalpins.
Ah ! ! ! serrez-moi fort mes douces Barbara, Rosalba et Suzanne ! ! !
Il rosso segno
della folia est un giallo où la découverte de l'assassin
n'est pas un mystère. Le spectateur un peu psychologue devine
facilement que c'est John qui a tué sa mère. Mario Bava
s'attache beaucoup plus à nous peindre le portrait d'un homme
tourmenté dont la vie a basculé alors qu'il n'était
qu'un enfant. A l'image de son train électrique qui déraille,
quelque chose s'est cassée en son fort intérieur. John
Harrington est resté un enfant, à la fois hanté
par le meurtre de sa mère et attaché à tout l'univers
onirique de son enfance. Sa chambre d'enfant est pour lui un havre de
paix. La mélodie douce et mélancolique de sa boîte
à musique le berce dans un sommeil par trop fragile. Ses jouets
s'animent comme par enchantement. Un court instant de répit pour
un homme qui pressent qu'il arrive au bout du chemin. L'arrivée
dans la chambre d'Helen le tire de son beau rêve. La caméra
de Bava fait une nouvelle fois merveille. John assis dans un fauteuil
semble être tout petit face à Helen qui entre dans la chambre
pour lui parler. Comme une mère qui tire son enfant chéri
de ses rêveries. Le charme est rompu, car Helen lui rappelle que
tous les enfants grandissent pour quitter un beau jour leur chambre
d'enfant. Vraiment tous ?
Mario Bava signe
là un film splendide que nous aimons tout particulièrement.
Un exercice de style pleinement réussi mariant à merveille
toutes les couleurs des ténèbres.