LA MASCHERA DEL DEMONIO

« Savez-vous que les uniques monstres sont ceux que nous détenons à l'intérieur de nous-mêmes ? » Mario Bava.

Synopsis :
La Princesse Asa et son amant Ygor Yavutich sont condamnés pour sorcellerie. Asa jure de se venger sur les descendants de son frère qui est le principal accusateur.
Un siècle passe. Par inadvertance, le Docteur Kruvajan en route pour Moscou avec son assistant le Docteur Gorobek redonnera vie à la sorcière Asa et par la même occasion à son compagnon diabolique Yavutich. Dès lors sa vengeance s'abattra sur les descendants de son frère. Le prince Vajda mourra, ainsi que d'autres membres de sa famille habitant le château. Asa tentera en vain de prendre possession du corps de la princesse Katia, la fille du prince Vajda, qui lui ressemble comme une sœur jumelle. Mais Gorobek, l'assistant du défunt Docteur Kruvajan, sauvera celle qu'il aime des griffes de la sorcière. Cette dernière périra sur le bûcher, mettant ainsi fin à sa malédiction.


FICHE TECHNIQUE

Film italien (1960 / Noir & Blanc)
Titre original : La maschera del demonio
Titre français : Le masque du démon
Titres anglais et américains : Black sunday / The demon's mask / Revenge of the vampire / House of fright
Titres allemands : Nachts, wenn Dracula erwacht / Die Stunde, wenn Dracula kommt
Réalisation et photographie : Mario Bava
Producteur : Massimo de Rita
Production : Galatea et Jolly Films
Directeur de production : Paolo Mercuri et Armando Govoni
Assistant : Vana Caruso
Scénario : Ennio de Concini, Mario Serandrei, Mario Bava et Marcello Coscia, d'après le conte de Nicolaj Gogol Vij
Scripte : Bona Magrini
Chef opérateur : Ubaldo Terzano et Mario Bava
Montage : Mario Serandrei
Direction artistique : Giorgio Giovannini et Mario Bava
Costumes : Tina Grani
Musique : Roberto Nicolosi (orchestre dirigé par Pier Luigi Urbini)
Musique additionnelle, version US : Les Baxter
Durée : 84 mn

Remarque : Les titres allemands font référence à Dracula qui se réveille la nuit. Le seul vampire qui se réveille dans le film de Mario Bava s'appelle Yavutich ! Mais le nom de Dracula se vendait sans doute mieux ...

INTERPRETATION :
Barbara Steele (Princesse Katia / Princesse Asa) ; John Richardson (Dr. Andrej Gorobek) ; Andrea Checchi (Dr. Kruvajan) ; Ivo Garrani (Prince Vajda) ; Arturo Dominici (Igor Yavutich) ; Enrico Olivieri (Costantino) ; Antonio Pierfederici (le pope) ; Tino Bianchi (Ivan) ; Clara Bindi (l'aubergiste) ; Mari Passante (le cocher) ; Germana Dominici (la fille de l'aubergiste)


Ce n'est qu'en 1960 avec le Masque du démon que la carrière de Barbara Steele va prendre un tournant décisif. Selon ses dires, elle était ravie de revenir en Europe après son séjour aux USA et l'idée de tourner en Italie lui apparaissait comme une « epiphany ».

A propos de ce film, Barbara Steele confiera : « I don't have an objective overview of Black Sunday. My memories of filming it were totally subjective. It was a serie of little incidents, partially of one's life around the making of the film. Especially an italian film, with all its melodrama and chaos ».
Intéressante la dernière remarque au sujet des conditions de tournage sur un plateau en Italie. Certains réalisateurs américains quant à eux ne pourront jamais s'y faire (cf. Jacques Tourneur, André de Toth...).

Pourquoi Mario Bava l'avait choisi, elle l'a toujours ignoré. Ce dernier lui est apparu comme un homme très discret, voire timide, un gentleman très 19ème siècle. Cela ne l'empêchait pas d'être aussi un grand professionnel du cinéma, avec un immense respect pour ses acteurs.
« He had a fabulous eye and knew exactly what he wanted », notera Barbara Steele. Cette phrase résume parfaitement la quintessence du talent de Mario Bava : un sens fabuleux du visuel et une grande rigueur !
A bien des égards, Le Masque du démon est semblable à un film muet, avec des images d'une force suggestive extraordinaire. Un baroque visuel que Barbara Steele comparera à du Bergman. Aucun membre de l'équipe de tournage ne portait des vêtements de couleur. On se croyait volontiers à l'intérieur d'une cathédrale avec une gravité quasi religieuse.
Par ailleurs, l'atmosphère était des plus chaleureuses et empreinte d'un enthousiame tout italien. L'actrice confiera qu'elle n'a jamais perçu de salaire, mais que cela lui importait peu. On lui avait procuré un merveilleux appartement avec une terrasse richement fleurie et un piano. Impensable aujourd'hui ! Si telle est la vérité...

Le Masque du démon appartient bel et bien à cette catégorie de chef-d'oeuvres qu'une magie toute particulière immortalise à jamais. La beauté visuelle du film de Mario Bava semble intemporelle et transporte le spectateur à chaque nouvelle vision dans un monde double à l'image de ces deux visages de femme incarnées à merveille par Barbara Steele : la sorcière Asa et l'innocente Katia, victime d'une malédiction vieille de plusieurs siècles.
Mais la malédiction ne touche pas exclusivement les descendants de la sorcière. Le Docteur Kruvajan sera la première victime d'Asa. Son baiser de mortel scellera son destin et dès lors il ne sera plus qu'une marionnette au service du mal. C'est ainsi que le brave docteur, appelé au chevet du père de Katia, ne viendra pas pour soulager les maux de ce dernier, mais pour précipiter sa mort.

Avec son immense talent et savoir-faire, Mario Bava a su tirer toutes les nuances poétiques du Noir et Blanc, créant tour à tour une atmosphère lugubre avec par exemple des branches d'arbre qui semblent animées d'une force maléfique. De même, aucun cinéphile ne pourra oublier la première apparition de Steele/Katia accompagnée de ses chiens. Son allure est noble, mais cache une fragilité qui sera plus explicite plus tard dans le film.

Le Masque du démon semble plongé dans une nuit sans fin et lorsqu'enfin le jour se lève, c'est pour révéler aux mortels les horreurs de la nuit : le père de Katia mort dans d'atroces souffrances, un cocher égorgé flottant dans la rivière. Mais, bien que perdu dans un dédale de souterrains, dont le cinéma italien fera un usage fréquent, le jeune héros (John Richardson) - amoureux comme il se doit de la belle Katia - aura finalement raison de la machiavélique sorcière Asa. Le signe de croix trahira cette dernière et seul moment positif du film, la destruction finale et définitive de la sorcière sur le bûcher, rendra la vie à celle que l'on croyait morte : Katia. Happy-end certes, mais au prix de combien de morts !

Remarque : Les propos cités de Barbara Steele figurent dans la préface du livre d'Antonio Bruschini Horror all'italiana 1957-1979 paru dans la collection Bizarre Sinema (1996).

LA CRITIQUE

« Plus de dix ans après La maschera del Demonio, Bava demeure un réalisateur contesté qui suscite admirations ferventes et commentaires ironiques. Ce qu'on reproche surtout à son œuvre, c'est d'être difficilement cernable, impossible à classer. La maschera del Demonio est-elle une adaptation de Fisher à la mode italienne ou un retour au gothique ? [...] Pour beaucoup, l'œuvre de Bava tient en la seule Maschera del Demonio. Pour d'autres, ce film n'est qu'une ébauche, intéressante, certes, mais bien moins révélatrice que Gli invasori, Ercole al centro della Terra, I tre volti della paura ou La frusta e il corpo, paradoxalement tenus par les premiers pour d'ineptes ratages ou des réalisations purement commerciales. [...]. En fait, dans son extrême complexité, l'œuvre de Bava se dérobe à l'analyse. C'est une erreur que de mettre ce réalisateur en parallèle avec les Fisher ou les Browning. [...] Mais, fasciné par la mort, c'est de la mort qu'inlassablement parle Mario Bava. Et c'est ce qu'on lui pardonne mal. »
Dans Les classiques du cinéma fantastique de Jean-Marie Sabatier. Paru chez Balland 1973 / pages 59 à 63.

« Œuvre impressionnante à la photographie savamment travaillée et qui crée un climat morbide par sa beauté baroque et gothique. Evitant les poncifs, Bava traque l'horreur dans les recoins de caveaux obscurs et suintants ou dans les tombeaux de pierre qui cachent l'affreux masque du démon, symbole d'un mal éternel que les flammes d'un bûcher arrivent à peine à conjurer. »
Dans Guide des films de Jean Tulard. Paru chez Robert Laffont / Collection Bouquins 1990 / page 152.

« Pour qui aime Les yeux sans visage de Franju, La Maison du diable de Robert Wise ou L'Escalier tournant de Robert Siodmak, le premier film de Mario Bava constitue une bonne surprise et un sujet de jubilation. Opérateur fameux de cinéastes célèbres, Bava demeure opérateur et met son talent à son propre service lorsqu'il devient réalisateur. Il conçoit donc sa mise en scène en fonction d'un goût prononcé pour la photogénie : il recherche l'angle rare, et ses mouvements d'appareil obéissent aux lignes de force que suggère un espace toujours cerné avec précision par le décor, toujours animé par une tension très contrôlée de l'ombre et des lumières. Il en résulte un expressionnisme soyeux qui prolonge directement la tradition italienne des calligraphes au-delà, par exemple, de Malombra de Soldati.
Les figures poétiques, dans le Masque du démon, sont héritées plutôt du roman dans le goût anglais, de Nosferatu et des Chasses du Comte Zaroff, même si la nouvelle initiale est de Gogol. Les effets destinés à créer l'effroi, souvent subtils, n'égalent pourtant jamais la vraisemblance attachée aux vampires : Bava nous fait traverser le pont et ils viennent à notre rencontre. »
Dans Le cinéma italien 1945-1979 de Freddy Buache. Paru chez L'Age d'Homme en 1979 / page 327.

« [...], le Masque du démon met ouvertement en scène l'ambivalence de la femme vue comme Monstre et Victime en même temps, thème pivot du gothico-sexy italien, avec Barbara Steele - bien que très jeune mais déjà dotée d'un magnétisme parfait - dans le double rôle de la sorcière-vampire Asa et de sa descendante Katia. [...] Le sexe apparaît ici pour la première fois explicite dans ses connotations les plus morbides et transgressives jusqu'à affronter le thème tabou de l'inceste dans la séquence où le père de la protagoniste, désormais vampirisé, tente sournoisement d'attaquer cette dernière. Non seulement cette scène, mais un peu toute la pellicule apparaît imprégnée d'une ambiguïté malsaine. [...]
En plus, Bava fait appel à son habileté particulière, qui caractérisera ensuite tout son cinéma, de surprendre le spectateur lui donnant l'impression de se trouver sur des terrains désormais parcourus, pour le choquer ensuite avec des solutions visuelles de style macabro-bizarre complètement inattendues. Le vampire, par exemple, n'est pas tué avec un pieu dans le cœur, mais avec une branchette enfoncée dans l'œil. En outre, la résurrection classique vampiresque avec le couvercle du cercueil qui se soulève, est remplacée par l'image de la tombe qui explose soudainement, révélant le catafalque sur lequel est allongée la vampire. »
Dans Horror all'italiana édité par Stefano Piselli & Riccardo Morrocchi chez Glittering Images 1996 (Collection Bizarre Sinema) / page 56.

« 'Le Masque' est le premier trait d'un cinéma génial renouvelant totalement le style de l'image au niveau du narratif. [...]
L'apparition de Barbara Steele [...], enveloppée dans des nappes brumeuses, a quelque chose de féerique. »
Dans Barbara Steele, collection Monster bis / Les Reines du cinéma bis publié par les éditions Norbert Moutier / pages 45-46.

« Mario Bava nous prouve que la peur n'exclut pas la beauté. [...] Les effets horribles qu'il ménage constituent plutôt une espèce de catalyseur, destiné à nous mettre dans l'atmosphère. [...] [la photo] dépasse toujours le niveau habituel, et atteint souvent à l'exceptionnel. Bava possède une âme de peintre. [...] Le film de Bava, c'est la poésie picturale de l'irrationnel, communiquée par la vertu de la mise en scène. C'est la preuve que le fantastique a plus besoin de mise en scène que de trucages et d'effets horribles ».
Fereydoun Hoveyda dans Les Cahiers du cinéma / Mai 61 n°119 / pages 53-56.

« Traité dans le style 'Grand Guignol' l'accumulation des effets de terreur ennuie rapidement le spectateur. Les acteurs eux, essaient de sauver la face (du démon) ».
Office catholique français du cinéma dans Répertoire général des films 1961.

« Cette adaptation d'un thème fantastique de Gogol fut une contribution intéressante au film de vampires. [...] Quoique très controversée, cette première œuvre [de Bava] ne manque pas de qualité poétique ».
Dans Encyclopédie Alpha du Cinéma. Tome 1 page 254.

« Aus der romantischen Vorlage von Gogol wird in den Händen eines italienischen Trivialfilmregisseurs ein naives, manchmal unfreiwillig komisches, aber recht unterhaltsames Horrorspektakel, dessen Fotografie sich an der Ästhetik des Stummfilms orientiert. Von manchen Cineasten als Kultfilm des Genres geschätzt. »
Dans Lexikon des internationalen Films : die ganze Welt des Films auf CD-Rom. Rororoverlag 1998/99.
La seule note positive de cette critique allemande particulièrement stupide est de comparer la photo aux films muets. A part cela, Mario Bava est traité de cinéaste trivial et le film de comique !

« [...] Loosely based on Gogol's The Vij, this superb films tells of Princess Asa (Steele), killed as a witch in a brutal opening sequence, which culminates in the fixing of a spiked devil-mask on to her face as a punishment for her adultery, labelled 'witchcraft' by the local inquisitor, her brother. Two centuries later, she and her lover (Dominici) return from the crypt to destroy the descendants of her cursed family.
The film's hightlights include the laborious resurrection of Dominici as he slowly claws his way out of his grave and lumbers off into the night ; the slow-motion shot of a ghostly hearse driving throught the forest and the vampirizing of Katia (Steele) by Asa as she rejuvenates herself. Steele's double role as the virginal Katia and the sexual witch, whose body is marked by the stigmata of unholy penetrations suggestively presents the only two options allowed for women in such religious imagery : madonna or whore. The movie derives its lyrical force and indeed its sense of horror from the knowledge that a woman's sexuality cannot be eliminated and will return, bearing the scars of the violence with which it was repressed, to challenge the order of things. The ultimate threat, according to the movie's narrative logic, is signalled at the end : the possible merger of Asa and Katia into one single image. Only religion (the cross) and cutting keep the two apart. Rarely has guilty sexuality, transformed into a fascinating fear of women, been represented as explicitly. »
Dans Horror. The Aurum film encyclopedia édité par Phil Hardy. Paru chez Aurum Press en 1993 / page 133.

NOTRE AVIS

Un poème visuel où le noir et blanc épousent toutes les couleurs des ténèbres. L'ouverture du film - souvent copiée (cf. Horror hotel de John Moxey), mais jamais égalée - est l'une des plus célèbres du cinéma fantastique. Le spectateur découvre un visage nouveau. Une jeune actrice anglo-saxonne vient de faire ses débuts dans le cinéma d'épouvante : Barbara Steele.
Interprétant à la fois le rôle de la sorcière Asa et celui de la princesse Katia, elle prouve déjà toute l'étendue de son talent. Dès ce premier film, elle entre dans la légende. Asa, la sorcière hautaine et sensuelle ; Katia, la princesse tourmentée par une malédiction millénaire. Barbara Steele : L'incarnation du Bien et du Mal. Un manichéisme mainte fois répété par la suite. Pour le plus grand plaisir du spectateur !

Des scènes oniriques extraordinaires ponctuent le film, avec notamment cette calèche qui roule dans une forêt fantomatique aux allures d'une cathédrale. On pense aux films expressionnistes.
Même les films américains des années 30 ou 40 n'ont su atteindre une telle poésie. Il fallait le génie d'un Mario Bava, véritable magicien du 7ème art.

Le reste du film ? Une symphonie de l'horreur magistralement orchestrée. Une succession de meurtres laissant tout juste place à une idylle entre le jeune médecin et la princesse Katia.
Le tout sans gratuité aucune. C'est cela le vrai cinéma. Un happy-end ? Certes ! Mais au prix de combien de sang versé !

Un des plus beaux films fantastiques qui fascinera encore longtemps tous ceux qui ont su garder leurs yeux d'enfant pour découvrir la véritable magie du cinéma et ..... de l'au-delà !

© Michel Nussbaum, Bloody Nightmares Nr 2/2001

Bitte beachten Sie das Copyright! Alle Texte auf dieser Website dürfen nur nach ausdrücklicher Genehmigung des Autors abgedruckt oder wiederverwendet werden (dies gilt auch für Veröffentlichungen im Internet)!