LA MASCHERA DEL DEMONIO
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Le Masque du démon appartient bel et bien à cette
catégorie de chef-d'oeuvres qu'une magie toute particulière
immortalise à jamais. La beauté visuelle du film de Mario
Bava semble intemporelle et transporte le spectateur à chaque
nouvelle vision dans un monde double à l'image de ces deux visages
de femme incarnées à merveille par Barbara Steele : la
sorcière Asa et l'innocente Katia, victime d'une malédiction
vieille de plusieurs siècles.
Mais la malédiction ne touche pas exclusivement les descendants
de la sorcière. Le Docteur Kruvajan sera la première victime
d'Asa. Son baiser de mortel scellera son destin et dès lors il
ne sera plus qu'une marionnette au service du mal. C'est ainsi que le
brave docteur, appelé au chevet du père de Katia, ne viendra
pas pour soulager les maux de ce dernier, mais pour précipiter
sa mort.
Avec son immense talent et savoir-faire, Mario Bava a su tirer toutes
les nuances poétiques du Noir et Blanc, créant tour à
tour une atmosphère lugubre avec par exemple des branches d'arbre
qui semblent animées d'une force maléfique. De même,
aucun cinéphile ne pourra oublier la première apparition
de Steele/Katia accompagnée de ses chiens. Son allure est noble,
mais cache une fragilité qui sera plus explicite plus tard dans
le film.
Le Masque du démon semble plongé dans une nuit
sans fin et lorsqu'enfin le jour se lève, c'est pour révéler
aux mortels les horreurs de la nuit : le père de Katia mort dans
d'atroces souffrances, un cocher égorgé flottant dans
la rivière. Mais, bien que perdu dans un dédale de souterrains,
dont le cinéma italien fera un usage fréquent, le jeune
héros (John Richardson) - amoureux comme il se doit de la belle
Katia - aura finalement raison de la machiavélique sorcière
Asa. Le signe de croix trahira cette dernière et seul moment
positif du film, la destruction finale et définitive de la sorcière
sur le bûcher, rendra la vie à celle que l'on croyait morte
: Katia. Happy-end certes, mais au prix de combien de morts !
Remarque : Les propos cités de Barbara Steele figurent
dans la préface du livre d'Antonio Bruschini Horror all'italiana
1957-1979 paru dans la collection Bizarre Sinema (1996).
LA CRITIQUE
« Plus de dix ans après La maschera del Demonio, Bava demeure
un réalisateur contesté qui suscite admirations ferventes
et commentaires ironiques. Ce qu'on reproche surtout à son œuvre,
c'est d'être difficilement cernable, impossible à classer.
La maschera del Demonio est-elle une adaptation de Fisher à
la mode italienne ou un retour au gothique ? [...] Pour beaucoup, l'œuvre
de Bava tient en la seule Maschera del Demonio. Pour d'autres,
ce film n'est qu'une ébauche, intéressante, certes, mais
bien moins révélatrice que Gli invasori, Ercole
al centro della Terra, I tre volti della paura ou La frusta
e il corpo, paradoxalement tenus par les premiers pour d'ineptes
ratages ou des réalisations purement commerciales. [...]. En
fait, dans son extrême complexité, l'œuvre de Bava se dérobe
à l'analyse. C'est une erreur que de mettre ce réalisateur
en parallèle avec les Fisher ou les Browning. [...] Mais, fasciné
par la mort, c'est de la mort qu'inlassablement parle Mario Bava. Et
c'est ce qu'on lui pardonne mal. »
Dans Les classiques du cinéma fantastique de Jean-Marie
Sabatier. Paru chez Balland 1973 / pages 59 à 63.
« Œuvre impressionnante à la photographie savamment travaillée
et qui crée un climat morbide par sa beauté baroque et
gothique. Evitant les poncifs, Bava traque l'horreur dans les recoins
de caveaux obscurs et suintants ou dans les tombeaux de pierre qui cachent
l'affreux masque du démon, symbole d'un mal éternel que
les flammes d'un bûcher arrivent à peine à conjurer.
»
Dans Guide des films de Jean Tulard. Paru chez Robert Laffont
/ Collection Bouquins 1990 / page 152.
« Pour qui aime Les yeux sans visage de Franju, La Maison
du diable de Robert Wise ou L'Escalier tournant de Robert
Siodmak, le premier film de Mario Bava constitue une bonne surprise
et un sujet de jubilation. Opérateur fameux de cinéastes
célèbres, Bava demeure opérateur et met son talent
à son propre service lorsqu'il devient réalisateur. Il
conçoit donc sa mise en scène en fonction d'un goût
prononcé pour la photogénie : il recherche l'angle rare,
et ses mouvements d'appareil obéissent aux lignes de force que
suggère un espace toujours cerné avec précision
par le décor, toujours animé par une tension très
contrôlée de l'ombre et des lumières. Il en résulte
un expressionnisme soyeux qui prolonge directement la tradition italienne
des calligraphes au-delà, par exemple, de Malombra de
Soldati.
Les figures poétiques, dans le Masque du démon,
sont héritées plutôt du roman dans le goût
anglais, de Nosferatu et des Chasses du Comte Zaroff,
même si la nouvelle initiale est de Gogol. Les effets destinés
à créer l'effroi, souvent subtils, n'égalent pourtant
jamais la vraisemblance attachée aux vampires : Bava nous fait
traverser le pont et ils viennent à notre rencontre. »
Dans Le cinéma italien 1945-1979 de Freddy Buache. Paru
chez L'Age d'Homme en 1979 / page 327.
« [...], le Masque du démon met ouvertement en scène
l'ambivalence de la femme vue comme Monstre et Victime en même
temps, thème pivot du gothico-sexy italien, avec Barbara Steele
- bien que très jeune mais déjà dotée d'un
magnétisme parfait - dans le double rôle de la sorcière-vampire
Asa et de sa descendante Katia. [...] Le sexe apparaît ici pour
la première fois explicite dans ses connotations les plus morbides
et transgressives jusqu'à affronter le thème tabou de
l'inceste dans la séquence où le père de la protagoniste,
désormais vampirisé, tente sournoisement d'attaquer cette
dernière. Non seulement cette scène, mais un peu toute
la pellicule apparaît imprégnée d'une ambiguïté
malsaine. [...]
En plus, Bava fait appel à son habileté particulière,
qui caractérisera ensuite tout son cinéma, de surprendre
le spectateur lui donnant l'impression de se trouver sur des terrains
désormais parcourus, pour le choquer ensuite avec des solutions
visuelles de style macabro-bizarre complètement inattendues.
Le vampire, par exemple, n'est pas tué avec un pieu dans le cœur,
mais avec une branchette enfoncée dans l'œil. En outre, la résurrection
classique vampiresque avec le couvercle du cercueil qui se soulève,
est remplacée par l'image de la tombe qui explose soudainement,
révélant le catafalque sur lequel est allongée
la vampire. »
Dans Horror all'italiana édité par Stefano Piselli
& Riccardo Morrocchi chez Glittering Images 1996 (Collection Bizarre
Sinema) / page 56.
« 'Le Masque' est le premier trait d'un cinéma génial
renouvelant totalement le style de l'image au niveau du narratif. [...]
L'apparition de Barbara Steele [...], enveloppée dans des nappes
brumeuses, a quelque chose de féerique. »
Dans Barbara Steele, collection Monster bis / Les Reines du cinéma
bis publié par les éditions Norbert Moutier / pages 45-46.
« Mario Bava nous prouve que la peur n'exclut pas la beauté.
[...] Les effets horribles qu'il ménage constituent plutôt
une espèce de catalyseur, destiné à nous mettre
dans l'atmosphère. [...] [la photo] dépasse toujours le
niveau habituel, et atteint souvent à l'exceptionnel. Bava possède
une âme de peintre. [...] Le film de Bava, c'est la poésie
picturale de l'irrationnel, communiquée par la vertu de la mise
en scène. C'est la preuve que le fantastique a plus besoin de
mise en scène que de trucages et d'effets horribles ».
Fereydoun Hoveyda dans Les Cahiers du cinéma / Mai 61
n°119 / pages 53-56.
« Traité dans le style 'Grand Guignol' l'accumulation des
effets de terreur ennuie rapidement le spectateur. Les acteurs eux,
essaient de sauver la face (du démon) ».
Office catholique français du cinéma dans Répertoire
général des films 1961.
« Cette adaptation d'un thème fantastique de Gogol fut une
contribution intéressante au film de vampires. [...] Quoique
très controversée, cette première œuvre [de Bava]
ne manque pas de qualité poétique ».
Dans Encyclopédie Alpha du Cinéma. Tome 1 page
254.
« Aus der romantischen Vorlage von Gogol wird in den Händen
eines italienischen Trivialfilmregisseurs ein naives, manchmal unfreiwillig
komisches, aber recht unterhaltsames Horrorspektakel, dessen Fotografie
sich an der Ästhetik des Stummfilms orientiert. Von manchen Cineasten
als Kultfilm des Genres geschätzt. »
Dans Lexikon des internationalen Films : die ganze Welt des Films
auf CD-Rom. Rororoverlag 1998/99.
La seule note positive de cette critique allemande particulièrement
stupide est de comparer la photo aux films muets. A part cela, Mario
Bava est traité de cinéaste trivial et le film de comique
!
« [...] Loosely based on Gogol's The Vij, this superb films tells
of Princess Asa (Steele), killed as a witch in a brutal opening sequence,
which culminates in the fixing of a spiked devil-mask on to her face
as a punishment for her adultery, labelled 'witchcraft' by the local
inquisitor, her brother. Two centuries later, she and her lover (Dominici)
return from the crypt to destroy the descendants of her cursed family.
The film's hightlights include the laborious resurrection of Dominici
as he slowly claws his way out of his grave and lumbers off into the
night ; the slow-motion shot of a ghostly hearse driving throught the
forest and the vampirizing of Katia (Steele) by Asa as she rejuvenates
herself. Steele's double role as the virginal Katia and the sexual witch,
whose body is marked by the stigmata of unholy penetrations suggestively
presents the only two options allowed for women in such religious imagery
: madonna or whore. The movie derives its lyrical force and indeed its
sense of horror from the knowledge that a woman's sexuality cannot be
eliminated and will return, bearing the scars of the violence with which
it was repressed, to challenge the order of things. The ultimate threat,
according to the movie's narrative logic, is signalled at the end :
the possible merger of Asa and Katia into one single image. Only religion
(the cross) and cutting keep the two apart. Rarely has guilty sexuality,
transformed into a fascinating fear of women, been represented as explicitly.
»
Dans Horror. The Aurum film encyclopedia édité
par Phil Hardy. Paru chez Aurum Press en 1993 / page 133.
NOTRE AVIS
Un poème visuel où le noir et blanc épousent toutes
les couleurs des ténèbres. L'ouverture du film - souvent
copiée (cf. Horror hotel de John Moxey), mais jamais égalée
- est l'une des plus célèbres du cinéma fantastique.
Le spectateur découvre un visage nouveau. Une jeune actrice anglo-saxonne
vient de faire ses débuts dans le cinéma d'épouvante
: Barbara Steele.
Interprétant à la fois le rôle de la sorcière
Asa et celui de la princesse Katia, elle prouve déjà toute
l'étendue de son talent. Dès ce premier film, elle entre
dans la légende. Asa, la sorcière hautaine et sensuelle
; Katia, la princesse tourmentée par une malédiction millénaire.
Barbara Steele : L'incarnation du Bien et du Mal. Un manichéisme
mainte fois répété par la suite. Pour le plus grand
plaisir du spectateur !
Des scènes oniriques extraordinaires ponctuent le film, avec
notamment cette calèche qui roule dans une forêt fantomatique
aux allures d'une cathédrale. On pense aux films expressionnistes.
Même les films américains des années 30 ou 40 n'ont
su atteindre une telle poésie. Il fallait le génie d'un
Mario Bava, véritable magicien du 7ème art.
Le reste du film ? Une symphonie de l'horreur magistralement orchestrée.
Une succession de meurtres laissant tout juste place à une idylle
entre le jeune médecin et la princesse Katia.
Le tout sans gratuité aucune. C'est cela le vrai cinéma.
Un happy-end ? Certes ! Mais au prix de combien de sang versé
!
Un des plus beaux films fantastiques qui fascinera encore longtemps
tous ceux qui ont su garder leurs yeux d'enfant pour découvrir
la véritable magie du cinéma et ..... de l'au-delà
!